A l'heure où de grands ensembles géographiques et les lobbies se forment pour mieux contrôler les événements du monde et résister aux aléas de l'histoire, avoir un statut d'immigré peut être source de frustration et de marginalisation. Mis à l'écart de la gestion des affaires de la cité à cause de leur fragilité financière, leur minorité numérique, leur absence dans les sphères décisionnelles, les immigrés n'ont pas un autre choix que de se rassembler. Dans plusieurs pays qui accueillent traditionnellement les immigrés, des lois sont faites pour leur offrir un cadre légal de retrouvailles et de manifestation de leurs cultures. Plusieurs Etats réglementent, encouragent, voire financent les sociétés culturelles créées par les immigrés qui vivent sur leur sol. Il appartient donc à ceux-ci de savoir comment s'organiser pour mettre pleinement à profit cette prérogative.
Le but d’une association
A ce niveau une question pressante se pose: à quoi servent les associations ? Les humains sont-ils des êtres grégaires appelés à vivre en bande comme des moutons ? Ne peut-on pas se suffire de son bonheur familial ou de son salaire gras ? Cette question ne nécessite pas un débat public, à mon avis. Il appartient à chaque immigré de savoir s'il est assez outillé pour braver tout seul les austérités liées au statut d'étranger. On a beau gagner son combat pour l'intégration en terre d'accueil, obtenir la nationalité et le passeport du pays d’accueil, mais l'administration qui a une mémoire sans défaut garde les traces de votre pays d'origine. Dans le subconscient populaire, vous êtes un étranger et rien d'autre. Cette vérité est d'autant plus criarde chez les Noirs et autres personnes physiquement reconnaissables que, quarante ans après avoir été naturalisés citoyens, on continue de demander à un retraité de la haute administration: "where are you from?" Je traduis par "que fais-tu ici ?" Je crois que pour cette simple raison, puisque le regard d'autrui condamne l'immigré à un délit qu'il n'a pas commis, celui d'occuper indûment une terre qui n'est pas la sienne, il devrait au moins se contenter d'une communauté qui est la sienne. Qu’un immigré le veuille ou pas, il est jugé à travers la perception générale que les natifs du pays ont des siens. C’est-à-dire que les fautes ou les vertus d’un immigré contaminent les autres. Il y a ici lieu de parler d’une communauté involontaire des destins. Dans ce sens, on s’associe pour lutter ensemble et gagner ensemble. On s’associe pour partager le poids de la défaite. Je ne parlerai pas des programmes spécifiques qui rentreraient dans la feuille de route de chaque association, mais le point essentiel reste qu’il faut se projeter dans l’avenir. On ne crée pas une association pour le réveillon de la Saint Sylvestre seulement. Les douze mois de l’année doivent être riches et mouvementés. Le chemin de l’alpiniste n’est pas très facile, mais il sait que sa destination est le sommet de la roche. En observant plusieurs associations, on se rend compte qu’elles évoluent au gré du vent, sans programme, et de ce fait sont incapables de dire si elles ont échoué ou réussi, car un but à atteindre est inexistant ou trop vaguement défini. Les associations ne devraient pas avoir peur de définir des projets qui demandent dix ans de travail. Un tel projet une fois initié serait porté de bureau en bureau au cours de plusieurs mandats. L’égoïsme qui consiste à définir seulement de courts petits projets qu’on doit afficher dans son bilan annuel est pernicieux. Il faut voir loin, très loin, travailler pour le futur, car les enfants nés des immigrés dans le pays d’accueil n’y sont pas pour un temps de vacances. Bien qu’étant citoyens du pays où ils sont nés, les origines de leurs parents les affectent. S’ils trouvent en grandissant une communauté solide vers laquelle se pencher, leur mal-être sera diminué de moitié.
Quelle forme donner au rassemblement ?
Au sein de plusieurs diasporas, la forme d'association communautaire à but non lucratif est la formule la plus répandue. Nous savons que cette forme de regroupement est la plus facile à créer, ce qui fait l’affaire de l’immigré dépourvu de gros moyens. Mais, a-t-on pensé aux limitations que cette forme de regroupement impose ? L’association à but non lucratif implique que ses adhérents renoncent au profit, c’est-à-dire au droit d’entreprendre. Pas d’entreprise pas de richesse. Les membres signent donc qu’ils acceptent de rester une association pauvre. L’association à but non lucratif est en même temps apolitique. C’est-à-dire que les membres renoncent à faire participer leur groupe à la vie politique du pays et ne pourront jamais par là accéder au pouvoir. Ce sont des associations qui ne peuvent pas devenir des lobbies pour faire pression sur les dirigeants, sinon elles sont dissoutes. Lorsqu’on se rassemble en renonçant aux pouvoirs financier et politique, qu’est-ce qui reste donc dans le plat ? Les immigrés devraient penser à sortir de cette trappe pour créer des structures qui leur permettent de s’épanouir politiquement et financièrement. C’est le chemin pour accéder aux postes de décision. C’est coûteux, mais pas inaccessible pour un groupe. Comme l’association à but non lucratif et apolitique est la forme la plus répandue, il est utile d’examiner dans quelles conditions elle peut efficacement changer la vie des immigrés.
La taille des associations
Partant du constat que toutes ces associations communautaires visent le même objectif, à savoir le rassemblement et l'épanouissement de leurs membres, leur différence à l'arrivée se situerait au niveau de l'efficacité. Il semble que dès la base, la taille même d'une association qui voit le jour est un facteur susceptible de conditionner son succès ou le contraire. Il existe d'un côté les micro-associations qui regroupent en terre d'accueil les ressortissants d'un territoire plus ou moins petit du pays d’origine : un quartier par exemple, une ethnie ou une ville, et de l'autre on a les macrostructures qui couvrent des superficies nationales. Ainsi présentées, à quelle catégorie des deux faut-il se fier ? Je pense que de chaque côté il y a des avantages, des inconvénients et des pièges à éviter.
Les micro-associations
Dans cette catégorie vont les associations de ressortissants d'une famille, d'un quartier, d'une ethnie ou d'une ville. Ce sont elles qui à mon avis jouent le véritable rôle de rassemblement, car fonctionnant selon une méthode très proche du porte-à-porte. Leur rôle est de ratisser, d'écumer tous les recoins du territoire d’accueil à la recherche des ressortissants ciblés. Il s'agit d'une décentralisation maximale du recrutement. Les groupes ethniques visés par les micro-associations sont supposés recevoir plus rapidement et plus efficacement le message émis à leur intention. Les membres, issus du même paysage linguistique et culturel, se connaissent et éventuellement se fréquentent d'une quelconque façon. De ce fait, convaincre un ami ou un voisin à adhérer à l'association des ressortissants de sa ville natale s'avère moins difficile. Vu sous cet angle, si chaque quartier, ville, arrondissement, département ou ethnie avait son association à l'étranger, il y aurait des chances que chaque ressortissant de ces micro-territoires appartienne à un groupe dans le pays d'accueil
L'inconvénient majeur des micro-associations est le risque du repli identitaire. Le fait de se contenter de sa micro-culture et de se retrancher dans un bunker culturel où le temps s'est arrêté. Les conséquences peuvent aller du simple refus d'aller vers l'autre à l'apparition des comportements hostiles : le rejet du prochain. Ceci contribuerait à réduire le mot frère à la simple appartenance à une famille minuscule, au détriment du sentiment d’inclusion à une grande famille sans frontières de personnes partageant les mêmes aspirations et affrontant les mêmes difficultés. Pour que les micro-associations jouent positivement leur rôle rassembleur, elles DOIVENT fusionner ou collaborer avec des structures plus grandes qu'elles. S'ouvrir à l'autre. C’est une obligation ! Qu’elles adhèrent aux grands ensembles ou qu’elles disparaissent ! Si les microgroupes manquaient de rechercher la collaboration avec les ensembles plus grands, ils se transformeraient en une prison psychologique, un frein à un développement social harmonieux, un creuset du repli tribal, un froment de la division.
Les macrostructures
Suffit-il de créer une association nationale pour être sûr de récolter des milliers de membres ? Bien sûr que non ! Une grande association ne serait qu'un contenant vide si elle ne recherchait pas à son tour la collaboration avec les micro-entités. Tandis que les petites recrutent et rassemblent, les grandes fédèrent. Soit A l’ensemble des micro-associations et N une grande association nationale. Selon la stratégie de regroupement communautaire que je propose, On aura des individus qui sont des éléments du sous-ensemble A, et plusieurs sous-ensembles regroupés sous le grand ensemble N. Mais, que personne ne se trompe ! Il y a un esprit de groupe qu’il faut rechercher et cultiver. Car, des individualités mises ensemble ne font pas un groupe. Des individualités mises ensembles font une foule et non une équipe. L’esprit d’équipe dans lequel les compétences se complètent doit être le liant qui tient le bloc communautaire.
La notion de territorialité
Les associations créées par les étrangers dans leurs pays d'accueil jouent avec une double territorialité. Chacune d'elle couvre à la fois un territoire du pays d'origine et un territoire du pays d'accueil. On peut dès lors s'interroger sur la philosophie qui sous-tend le choix territorial. Pourquoi d'une part une association doit-elle se définir comme celle des ressortissants d'une famille, d'une ville ou d'une province au pays d'origine ? Pourquoi choisit-elle d'autre part d'étendre son influence à une ville du pays d'accueil, une province ou le pays tout entier ? La légalisation plus ou moins facile des associations dans plusieurs pays laisse un si grand éventail de choix à leurs fondateurs qu'au final, il y a risque de se livrer à la plaisanterie. Cela reviendrait à créer par exemple une association doublement nationale sans moyens financiers et logistiques pour assurer la couverture des territoires choisis. Le choix territorial doit être dès l'origine basé sur un calcul réaliste en tenant compte entre autres des paramètres financiers et logistiques. Ainsi, on évitera la ruse qui consisterait à inventer un grand groupe sans substance, créé dans le seul but d'occuper tout le terrain pour voir les associations à venir s'agréger à lui. Il faut remarquer que le véritable défi reste celui de rassembler en terre d'accueil, à cause de l'extrême divergence des d'intérêts. La couverture nationale d'une association ne fait pas sa force. Pour être efficace au service de ses membres, elle doit dépasser le simple rôle rassembleur pour penser à fournir à ceux-ci un véritable gain sur le plan individuel et collectif afin de stimuler l'adhésion. Une fois créées, les associations à spectre large doivent prendre conscience de leur rôle fédérateur, tendre la main aux petites sans lesquelles, elles ne seraient que des coquilles vides. Les petites à leur tour, sans les grandes, ne seraient que des vaisseaux solitaires guettés par le naufrage. Les grosses structures ont beau se déclarer provinciales, nationales, voire continentales, mais la triste réalité est que plusieurs ne sont capables de fonctionner que dans la ville ou elles ont leur siège. Chaque fois que cela arrive, c'est une défaillance qu'il faut corriger. Malgré leur représentativité nationale, il est indispensable qu'elles soient aidées dans d'autres villes et régions éloignées par des entités plus petites. Sur ce, il faut dire que la multiplication de micro-associations est salutaire et se doit d'être encouragée. Toute diaspora soucieuse de se rassembler devrait former une chaine de communication dans laquelle les micro-associations font le ratissage sur le terrain et rendent compte à celles qui sont hiérarchiquement au-dessus d'elles. Si un pareil réseau est tissé, en dehors de l'autonomie reconnue à chaque groupe, un programme concerté d'activités de grande envergure circulerait de la base au sommet et vice-versa, donnant lieu à des actions plus harmonieuses, bien coordonnées et plus efficaces. A une étape ultime, on pourrait penser à l'union des diasporas qui comprendrait tous les immigrés rassemblés au sein de différents groupes qui défendent les mêmes causes. De cette façon on aurait transformé un statut à connotation négative en un véritable pôle de puissance.
Roger Fodjo
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Patrick Henri (lundi, 26 mai 2014 01:59)
Quelles belles idées ! Mais sommes-nous assez mûrs pour les exploiter ?
Paul Julien (jeudi, 12 juin 2014 18:38)
Roger, à la lecture de cette analyse, j'ai cru percevoir une autopsie de notre environnement ici même à Edmonton.
Je crois que tu as posé des questions très essentielles et suggérer/proposer des pistes de solutions réalistes et faisables, qui vont dans le sens qui aiderait à la fédération de toute notre communauté ici à Edmonton.
Puisse ce texte être profondément exploité dans le cadre du "remodelage", de la "redefinition" de notre communauté entire.
Merci encore.