Qu'est donc ce sentiment qui tient en haleine tous les êtres humains sans distinction d’âge, de race ou de classe sociale ? Paraît-il que les animaux eux aussi ont un cœur qui ne se limite pas à remplir sa seule fonction physiologique, mais qui serait le siège de sentiments affectueux. Mais l'amour, ce sentiment tant vanté dans les vers des poètes, dans les airs des musiciens et sous les traits des peintres est-il en réalité une chose qui mérite tant de considération ? Ma réponse est mitigée. L'amour est valable dans la seule mesure où il relève de la philanthropie. Je veux dire l'amour de Mère Teresa pour les pauvres de Calcutta. Le type d'amour égoïste tant vénéré par les poètes, celui qui unit Romeo a Juliette, celui qui règne entre les conjoints, les amants, est une affaire purement privée qui n'a aucune portée sur l'humanité. C'est une relation égocentriste, narcissique. Je t'aime. Tu es à moi. A moi seul. Tu n'auras plus d'autres dieux que moi. Tel est la loi qui gère l'amour égoïste. Il ne se partage pas, il se consomme goulûment à huis clos. Malheureusement, plusieurs fois qu'on parle d'amour, on ne se réfère qu’à ce petit sentiment narcissique qui gouverne les vies privées. On peut même aller plus loin pour pointer l'amour comme étant responsable des malheurs du monde, car là où il apparaît, la raison n'est plus. Quand l'amour efface la raison, on parle alors de passion. La passion est maîtresse de tous les excès. Autant mieux commettre une erreur de raisonnement plutôt qu’une vertu passionnelle. Car, si la vertu venait à s’inverser, on assisterait à un vice de même proportions. Face à l'amour et ses ravages, ses blessures inguérissables, Tolstoï prétendra que ce sentiment est une institution du diable inventée pour corrompre le cœur de l'homme.
En revanche, le grand amour qui se partage, celui qui lie le philanthrope au bénéficiaire inconnu, est un amour digne d'exaltation.